• La prédiction d'Emmanuel Todd sur l'effondrement de l'Ukraine

     

    Herodote.net

     ENTRETIEN AVEC EMMANUEL TODD

     

     

    « L'Ukraine et la tentation de la guerre »

    30 mai 2014 : l'historien Emmanuel Todd a entrevu en 1976 la fin de l'URSS avec un essai au titre provoquant : La chute finale. Aujourd'hui, dans un entretien inédit avec Herodote.net, il prend à nouveau l'opinion à rebrousse-poil en annonçant la renaissance de la Russie et l'effondrement de l'Ukraine. Avec des chiffres que nos dirigeants auraient intérêt à méditer.

     

     

    Herodote.net : Les dirigeants européens courtisent l'Ukraine après avoir courtisé la Géorgie. Depuis les émeutes de Maïdan, à l'automne 2013, l'opinion publique, en France et dans la plupart des pays européens, ressent également une vive sympathie pour ce pays. En votre qualité d'anthropologue, partagez-vous ce sentiment  ?

     

    Emmanuel Todd : Les gens regardent la carte et voient l'Ukraine plus à l'Ouest que la Russie, donc forcément plus « occidentale ». Ce n'est pas faux. La Russie et la Biélorussie se signalent par une structure familiale communautaire : le patriarche et les familles de ses fils vivent sous le même toit. L'Ukraine, elle, se distingue par une structure familiale de type nucléaire analogue à celle que l'on rencontre en Angleterre ou dans le Bassin Parisien : papa, maman et les enfants.

     

    Ces différences-là, je ne les ai pas tirées d'une thèse d'anthropologie de l'époque stalinienne mais d'un historien du XIXe siècle, Anatole Leroy-Beaulieu, auteur d'une somme sur L'Empire des tsars et les Russes (mille pages rééditées chez Bouquins en 1990).

     

    C'est à cause d'elles que Staline a pu sans trop de mal collectiviser les terres en Grande-Russie mais n'y est pas arrivé en Petite-Russie (la région de Kiev), où il a dû exterminer en masse les paysans qui lui résistaient.

     

    Pouvons-nous en tirer la conclusion que les Ukrainiens sont plus proches de nous que les Russes ? Notons que les Tagalogs des Philippines ont aussi une structure familiale nucléaire et individualiste. Sont-ils pour autant proches de nous ? Il est permis d'en douter.

     

    Ce qui caractérise nos sociétés occidentales (à l'exclusion du monde germanique, dominé par la famille souche), c'est la combinaison d'une structure familiale nucléaire, propice à l'individualisme et à la liberté, et d'un État fort autour duquel se cristallisent les aspirations des individus.

     

    Or, l'Ukraine, pas plus que les Tagalogs, n'a jamais connu d'État fort. Elle partage cette caractéristique avec ses voisins d'Europe centrale, la Pologne et la Roumanie, qui ont aussi une structure familiale nucléaire. Les Polonais ont laissé échapper leur chance d'en construire un à cause du comportement tribal de leur noblesse. Ils ont sacrifié leur indépendance à leurs querelles autour du liberum veto.